[Face à face] La ville de Tours brade-t-elle son patrimoine immobilier ?

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Depuis la victoire de la gauche aux élections municipales de 2020, les grands débats de la ville de Tours se concentrent sur les questions de mobilités, de sécurité ou encore d’urbanisme. Parmi les sujets plus techniques, celui de la gestion immobilière pose également question, avec deux visions très différentes. Pour bien comprendre les enjeux, on a croisé les points de vue de l’adjointe au maire chargée de l’urbanisme Cathy Savourey et du conseiller municipal d’opposition Thibault Coulon.

Si on fait un inventaire, la ville de Tours est environ propriétaire de 800 biens immobiliers bâtis ou non bâtis. Parmi eux, certains sont emblématiques comme l’Hôtel de Ville et le Palais des Sports. Il y a aussi les écoles, les gymnases, les hangars de stockage ou encore l’hôpital Clocheville, appartenant à la commune mais dont le CHU a l’usage via un bail à très longue durée (c’est aussi le cas pour l’institution scolaire privée Notre-Dame-La-Riche). Parfois la mairie est même propriétaire d’adresses en dehors de son territoire, comme le domaine d’Azay-le-Féron dans l’Indre ou le Château du Plessis de La Riche (en cours de cession à la commune).

Comment gérer tout ce patrimoine ? « A notre arrivée nous avons mis en place une stratégie foncière » explique Cathy Savourey, adjointe au maire chargée des questions d’urbanisme. « Elle repose sur deux mots : rationaliser et anticiper. Rationaliser, ça veut dire qu’on regarde si nos propriétés sont nécessaires aux politiques publiques. Si on les utilise, si on peut les optimiser ou si on doit les céder. » L’élue cite deux exemples : un immeuble du Vieux-Tours que les Compagnons du Devoir utilisaient comme logements. A leur départ, la mairie a choisi d’ouvrir une consultation auprès de promoteurs spécialisés pour y déployer un nouveau projet. Dans le même temps, elle a acheté un hangar de Joué-lès-Tours qu’elle louait déjà pour stocker des décors du Grand Théâtre. Une procédure qui lui a permis de vendre un autre entrepôt devenu inutile à St-Pierre-des-Corps.

« C’est un Tetris » résume Cathy Savourey. Et malgré quelques achats, le patrimoine global de Tours a plutôt tendance à baisser. Sans que ce soit un absolu. Tout se fait selon les besoins présents… ou futurs. A Tours-Nord, la mairie se porte notamment acquéreuse de parcelles dans le but de créer des jardins publics, ou se positionne sur certains programmes afin d’y ouvrir des équipements publics comme des crèches. « On négocie avec les promoteurs même si ce n’est pas pour le faire dans ce mandat-là. » C’est ainsi que la nouvelle cuisine centrale de la Rue de Suède est en cours de construction sur un terrain de 10 000m² acquis dans les années 80, pour ce fameux « au cas où ».

Mais alors quelles adresses garder ? Lesquelles méritent une vente ? Où acheter ? C’est la mission d’un groupe de travail baptisé Comité de Cessions de Acquisitions, « pour préparer les futures décisions » et qui réunit trois élus de l’exécutif : Cathy Savourey, donc, mais aussi l’adjoint aux finances Frédéric Miniou et Martin Cohen, en charge des questions environnementales.

Une équipe restreinte désapprouvée par l’élu d’opposition Thibault Coulon qui estime que c’est un manque de transparence lors de transactions, en particulier pour des biens conséquents ou symboliques comme les locaux de bureaux située Rue Victor Hugo, Le Plessis ou le projet de session du terrain occupé par l’école Polytech près du lac de la Bergeonnerie : « On nous informe de l’acquéreur et du prix, en expliquant que c’est le meilleur projet et la meilleure offre. Nous ne savons pas s’il y a eu d’autres offres, si on est allé en chercher, comment a été négocié la vente etc » déclarait-il lors du conseil municipal le 27 mai fustigeant le prix de vente pour l’immeuble Rue Victor Hugo (1 179 000€ soit 1 063€ du m² quand les logements du quartier peuvent largement dépasser les 3 000€ le m²).

« Je peux facilement trouver trois promoteurs qui achètent plus cher » tonne l’élu d’opposition. En face, Cathy Savourey assure que ce n’est pas si simple : « Le prix a été fixé par les Domaines et nous sommes tenus de respecter leurs estimations. L’Etat ne demande pas aux collectivités qu’elles bradent le patrimoine. » Ainsi, c’est Ligéris qui a récupéré l’usufruit du bâtiment pour en faire des bureaux.

Las, pas de quoi convaincre Thibault Coulon qui ne décolère pas de ne pas pouvoir s’impliquer dans ce type d’échange :

« On apprend les cessions importantes par la presse, je suis stupéfait. Pour le Plessis je ne suis pas contre mais je ne connais pas le projet. Il ne nous a pas été présenté. »

« Lors du précédent mandat, ce type de décisions était prise par le maire et l’adjoint en charge de la délégation. Là, nous avons mis en place un comité d’élus qui travaille avec les services pour les futures décisions. Nous ne sommes pas moins transparents » rétorque Cathy Savourey. Et à la question de savoir pourquoi il n’y a pas de place pour l’opposition, la réponse : « C’est un travail technique ». Et de présenter la méthode :

« Dans le cas d’un bail, on demande d’abord à l’usager s’il veut rester. Puis on se demande si on garde. Si c’est non, est-ce que la Métropole veut le racheter ? On privilégie le public avant le privé, comme on l’a fait au Château du Plessis à La Riche. On l’a proposé à Tours Métropole qui n’en voulait pas puis La Riche a demandé à le racheter donc on a travaillé avec elle. L’objectif c’est de garder une utilisation publique. Sinon, on le propose d’abord à nos satellites comme la SET (Société d’Equipement de la Touraine, présidée par le maire de Tours) ou (le bailleur social) Ligéris. Et quand on vend au privé, on fait des consultations. »

En face, Thibault Coulon plaide pour un tout autre procédé : celle des Appels à Projets Innovants, expérimentée sous l’ère de Christophe Bouchet entre 2017 et 2020. En gros, la ville identifie un site et fait appel à toutes les bonnes volontés pour le rénover comme ça a été proposé au Sanitas et à Maryse Bastié.

« Cela permet de faire émerger les meilleurs projets, tout l’inverse de l’opacité. Emmanuel Denis avait même soutenu un projet API en candidatant dessus en tant qu’ingénieur quand il était dans l’opposition. C’est la preuve que la démarche ne lui semblait pas absurde. »

Un processus opposé à la méthode du gré à gré, soit la discussion exclusive avec un seul acquéreur potentiel. La ville de Tours y a recours. Pas une doctrine, plutôt de l’opportunisme selon Cathy Savourey : « On le fait si on a un porteur de projet qui tient la route » indique l’élue. « Quand Solary est venu nous voir pour racheter le site des abattoirs à Tours-Nord on n’allait pas faire une consultation pour savoir si d’autres entreprises voulaient s’installer » ajoute-t-elle, assurant que la Métropole agit également comme ça. Thibault Coulon dément, en tout cas pour le secteur sur lequel il a des responsabilités, à savoir les parcs d’activité qu’il gère via une vice-présidence dédiée. Surtout, il estime que le procédé est politiquement opaque, voire antidémocratique :

« Je pense qu’aujourd’hui on a un vide juridique et que le maire l’exploite pour gouverner seul. Il y a un code des marchés publics pour acheter, mais pour vendre il n’y a pas grand-chose. Je propose d’établir des règles autour de 4 principes : la transparence, le meilleur prix, le meilleur projet et l’équité. »

Un procédé qui aurait pu, selon lui, tout changer dans le cadre du projet de cession du terrain de Polytech à la Bergeonnerie. Il s’agit du grand sujet chaud du moment en matière d’immobilier à Tours. Depuis plusieurs mois, la mairie a indiqué son ambition de créer un Green Tech Campus sur ce site de 2ha, en gros un site pour pousser l’économie verte. Un projet qui verrait le jour à partir de 2026, une fois que l’école d’enseignement supérieur aura quitté les lieux pour ses nouveaux locaux.

Après un premier report pour vice de procédure, le projet doit revenir au conseil municipal le 9 juillet. Selon Thibault Coulon, c’est le groupe Bouygues qui s’est positionné pour l’acheter et le transformer « alors qu’il n’a aucune référence sur ce type de chantier. Pourquoi c’est eux qui ont l’exclusivité ? Parce qu’on leur a dit de s’y intéresser. C’est de la spéculation foncière. » Pour sa part, Cathy Savourey assure que le site Polytech restera « un projet lié à l’économie et à la formation. Si il y a des logements, ce sera en lien avec ça ». Pour le reste, elle refuse d’en dire plus : « Attendez de voir ce que c’est, et quels sont les partenaires. »

Un degré en plus : la question de l’Ilot Vinci

En janvier 2023, le maire Emmanuel Denis a promis lors de ses vœux qu’il allait bientôt en dire plus sur le projet de transformation de ce terrain situé entre la gare et la Rue Blaise Pascal. 1 an et demi plus tard, on n’a toujours rien vu venir. Néanmoins, on nous assure que les démarches sont toujours en cours. Et même si la ville n’est pas propriétaire des parcelles, le sujet s’invite aussi dans le débat entre Cathy Savourey et Thibault Coulon. En effet, l’élu d’opposition croit savoir que là-encore c’est Bouygues qui est en lice, seul, pour orchestrer un chantier de transformation de la zone.

« Cette manière de faire n’est pas acceptable. Les professionnels de notre territoire ne comprennent pas pourquoi ils sont écartés sans compétition au profit d’un groupement retenu pour des raisons que personne ne connaît, ce qui permet tous les soupçons » disait-il le 27 mai en conseil municipal.

Auprès de 37 degrés, il ajoute : « La ville est propriétaire à travers la SET qui est son bras armé pour l’aménagement urbain. Je considère que céder les deux plus belles réserves foncières de la ville au même groupement sans compétition c’est de l’opacité. Là, ça ne passera même pas au conseil municipal. C’est un projet majeur qui se fait dans le dos des Tourangelles et des Tourangeaux. S’il y a des recours, je n’en serai pas surpris. Pour un maire élu sur la promesse de la transparence, ce n’est pas une manière de procéder. »

En face, Cathy Savourey refuse de confirmer l’hypothèse Bouygues pour la transformation de l’Ilot Vinci, rappelant que « 3 municipalités se sont déjà cassé les dents » sur ce sujet, « du fait de sa complexité ». Elle reconnait néanmoins que la municipalité et les services suivent le dossier de très près :

« On travaille en collaboration étroite avec l’Architecte des Bâtiments de France pour savoir ce qui est acceptable en termes de volumétrie car on a la main sur ce sujet à travers le Plan Local d’Urbanisme. Ce sera en tout cas un gabarit plus modeste que ce qui était prévu quand Christophe Bouchet était mairie. On reste dans l’idée de l’existant, de la gare de Tours et des immeubles autour pour préserver la vue sur la gare. »

Et l’élue de résumer la philosophie du futur sur ce site : « On veut enlever une verrue et en faire un site moteur du centre-ville. Mais on n’est pas encore assez prêts, et ça prendra le temps que ça prendra. On a encore des interrogations à lever. »

Des interrogations à lever et des opposants à rassurer au risque de rester embourbés.

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